Timothé Matte-Bergeron | Radio-Canada
La Cour suprême du Canada tient des audiences mercredi dans une cause concernant une compagnie minière dont le siège est à Vancouver, Nevsun Resources, et des réfugiés érythréens qui exigent réparation pour la violation alléguée de leurs droits fondamentaux par la compagnie.
L’affaire pourrait créer un précédent important en matière d’imputabilité des compagnies minières canadiennes à l’étranger.
« C’est la première fois que la Cour suprême du Canada se penchera sur la compétence des cours canadiennes dans un dossier de poursuite civile contre une compagnie minière canadienne, pour des violations des droits de la personne survenues dans un pays étranger », explique François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et conseiller juridique pour l’organisation Amnistie internationale, qui a le statut d’intervenante à la cour.
Des allégations de travail forcé
Dans une poursuite déposée en 2014 devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, trois réfugiés érythréens affirment avoir été forcés de travailler à la construction de la mine Bisha en Érythrée, détenue à 60 % par Nevsun Resources. Ils allèguent que leurs droits fondamentaux ont été violés par la compagnie et qu’en plus de les forcer au travail, on les a battus et torturés.
Des documents déposés en preuve en novembre dernier devant le tribunal de première instance suggèrent que de hauts dirigeants de Nevsun Resources étaient au courant que certains travailleurs de la mine ont été recrutés de force.
Nevsun Resources nie ces allégations, et conteste depuis le début des procédures la compétence qu’ont les tribunaux canadiens d’entendre la cause, plaidant qu’elle doit être entendue en Érythrée, un pays de la corne de l’Afrique dirigé par un régime dictatorial brutal.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté cette position, une décision confirmée par la Cour d’appel. Les allégations à proprement parler n’ont toutefois pas été prouvées devant les tribunaux.
La compétence des tribunaux canadiens en jeu
C’est sur la question de la compétence des cours canadiennes que se prononcera la Cour suprême du Canada.
Une collègue de François Larocque, Jennifer Klinck, qui représente Amnistie internationale devant le plus haut tribunal canadien, juge « très probable » qu’il emboîtera le pas aux deux autres cours.
« Si [la Cour suprême du Canada] donne raison à Nevsun, cette cause ne pourra pas procéder en Colombie-Britannique, ni, en réalité, en Érythrée », affirme-t-elle.
Une « porte ouverte »?
Une décision favorable de la Cour suprême du Canada créerait un précédent qui pourrait être lourd de conséquences pour les compagnies canadiennes.
« Ce qui est intéressant, c’est que [les plaignants ont] plaidé du droit international : de la torture, de l’esclavage, du travail forcé, qui sont prohibés par la coutume internationale », souligne François Larocque.
« [Si la Cour suprême rejette l’appel de la compagnie Nevsun], ça va envoyer un message important aux multinationales canadiennes qui opèrent dans un pays étranger […], dit-il, qu’ils ne peuvent pas penser qu’ils pourront échapper à la justice canadienne si on peut démontrer qu’elles sont responsables de violations des droits de la personne. »
Selon l’avocat Luis Sarabia, qui représente l’Association minière du Canada, intervenante dans l’affaire, la Cour suprême devrait rester prudente quant à l’incorporation des coutumes internationales dans le droit canadien.
« Cela pourrait créer de l’incertitude dans notre système juridique », affirme-t-il.
L’Association, dans son mémoire présenté en cour, craint les impacts de la décision pour ses membres. « L’industrie minière et l’économie canadienne dans son ensemble pourraient être touchées de manière négative », est-il écrit.
La compagnie Nevsun Resources plaide que le tribunal devrait « laisser une telle décision [de permettre une poursuite fondée sur la coutume internationale] au Parlement ».