Par Marie Prigent | Quid Justitiae
7 décembre 2018 – Du 5 au 12 décembre 2018, se tient la 17e Assemblée des États Parties (AÉP17) de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. À cette occasion, les États Parties et la société civile s’intéressent à la complémentarité de la CPI et des juridictions nationales en matière de répression des crimes les plus graves notamment au travers de deux aspects des activités de la CPI, qui font l’objet de ce billet.
Le principe de complémentarité : fondement de la compétence de la CPI
Le principe de complémentarité qui régit la compétence de la CPI est prévu au paragraphe 10 du préambule et aux articles 1 et 17 du Statut de Rome. Il prévoit que les États parties ont l’obligation d’enquêter et de poursuivre les auteurs des crimes graves internationaux (§ 4, 5 et 6 du préambule du Statut de Rome), et que la CPI est compétente pour connaître de ces crimes lorsqu’un État n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener à bien l’enquête ou les poursuites.
Dans ce contexte, le manque de volonté est constaté par le Bureau du Procureur (article 17(2) du Statut de Rome) lorsque, malgré les garanties d’un procès équitable, la procédure ou la décision est prise ou a été prise dans le but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes de la compétence de la Cour. Elle peut aussi être constatée lorsque la procédure subit un retard injustifié ou qu’elle n’est pas menée de manière indépendante et impartiale, ce qui est incompatible avec l’intention de traduire la personne concernée en justice. L’incapacité est, quant à elle, constatée lors de l’effondrement total ou partiel de l’appareil judiciaire d’un État, ou de l’indisponibilité de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires (article 17(3) du Statut de Rome).
Dans le cadre du système mis en place par le Statut de Rome en 1998, la complémentarité s’apprécie lors de l’examen de recevabilité (article 17 du Statut de Rome) d’une situation portée à la connaissance du Bureau du Procureur. Cet examen, ainsi que la prise en compte des intérêts de la justice et la détermination de l’existence d’une base raisonnable pour croire qu’un crime relevant de la compétence de la CPI a été commis (article 53(1) du Statut de Rome), constituent les critères déterminant l’ouverture d’une enquête.
C’est dans ce contexte que le Bureau du Procureur s’intéresse aux mécanismes de transition que les États mettent en place après les violences qui génèrent leur lot de défis.
Les mécanismes nationaux de transition et la complémentarité : faux amis ?
Lorsque le Bureau du Procureur doit apprécier le principe de complémentarité et déterminer si un État faisant face à des exactions massives remplit ses obligations d’enquête et de poursuite, il doit prendre en compte les mécanismes de transition mis en place par cet État afin (à tort ou à raison) de rendre justice, d’établir la responsabilité des auteurs et de permettre la réconciliation de leur population.
Bien que les États concernés puissent justifier la création de ces mécanismes par l’obligation qui leur est imposée de soumettre à leur juridiction pénale les responsables de crimes graves internationaux, ces mécanismes instaurent parfois chez certains États une forme d’impunité.
C’est le cas, par exemple, du recours aux amnisties pour faciliter la réconciliation nationale. Si ce mécanisme n’est interdit ni par le Statut de Rome ni par la CPI, l’équilibre recherché entre la paix et la justice ne doit pas entraver la répression des crimes graves internationaux.
C’est notamment cet aspect qui intéresse les acteurs de la société civile qui participent à l’AÉP, en particulier dans le cadre du contexte malien, où l’adoption d’une loi d’entente nationale prévoyant des amnisties a été récemment proposée par le Gouvernement. En témoigne l’événement organisé lors du premier jour de l’AÉP par Avocat sans frontières Canada sur le thème de la réconciliation et la lutte contre l’impunité au Mali.
Cet événement a été l’occasion pour les panelistes de discuter de la difficulté pour les victimes, notamment celles ayant souffert de violences sexuelles, d’accéder à la justice et de voir leurs plaintes aboutir. Les panelistes ont exprimé leur inquiétude face à la loi d’entente nationale qui, même si elle exclue de son champ d’application les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les viols et tout autre crime réputé imprescriptible (article 4 de la loi d’entente nationale), prévoit d’amnistier des crimes avant même que ces derniers ne soient répertoriés. L’insuffisance des procédures prévues par cette loi rendrait ainsi possible l’amnistie d’auteurs de crimes relevant de la compétence de la CPI.
Les panelistes ont aussi dénoncé son processus lacunaire qui mettrait en place une impunité généralisée. Les critiques évoquées lors de cet événement concernaient principalement le champ d’application trop vague de la loi, l’absence de transparence et d’indépendance du processus, et de participation et de réparation des victimes. D’après l’analyse menée par Avocats sans frontières Canada, cette loi pourrait donc constituer une négation de l’obligation des États de poursuivre les crimes internationaux en vertu du principe de complémentarité.
Le Ministre de la justice du Mali, Tièna Coulibaly, lors d’un discours livré à la deuxième journée de l’AÉP durant le débat général, a toutefois considéré que le Mali prenait les mesures nécessaires au niveau national pour coopérer avec la Cour en renforçant ses capacités nationales et celles des experts, respectant ainsi le principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome.
Le Mali n’est toutefois pas le seul pays dans cette situation : d’autres contextes nationaux, comme la Colombie, la Gambie, le Mexique, le Ghana et la République Démocratique du Congo, seront étudiés sous cet angle et seront au cœur de plusieurs autres événements organisés à l’initiative de la société civile.
Améliorer la complémentarité grâce à la coopération
Au-delà des problèmes qui se posent lors de l’examen de recevabilité, le principe de complémentarité a aussi été mis en évidence dès le début de cette 17e session de l’AÉP par le Président du Bureau de l’AÉP, M. O-Gon Kwon.
Lors de son discours d’ouverture, il a rappelé, d’une part, l’importance de domestiquer le Statut de Rome et de renforcer les capacités judiciaires nationales afin de permettre aux États de réprimer localement les crimes internationaux. Il a aussi marqué, d’autre part, l’importance de la coopération entre les États, les organisations internationales et la société civile pour atteindre cet objectif, une idée qui a ses racines dans la 16e AÉP.
En effet, l’an dernier, les États Parties ont discuté du rôle des autorités locales dans l’investigation et la poursuite des crimes de la compétence de la CPI, de l’existence de partenariats avec d’autres acteurs pour protéger les témoins et en lien avec les crimes sexuels et fondés sur le genre. L’objectif de ces discussions était d’approfondir une piste proposée par le Statut de Rome, qui prévoit que la répression des crimes les plus graves doit être assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale (§ 4 du préambule).
Ces discussions ont mené cette année le Bureau sur la complémentarité ainsi que la Coalition pour la Cour pénale internationale à présenter leurs réflexions à propos du principe de complémentarité, en tenant compte des discussions relatives à la coopération survenues lors à la précédente assemblée. Ces réflexions proposent d’améliorer la coopération afin d’assister les juridictions nationales à remplir leurs obligations d’enquête et de poursuite, de façon à contribuer à la mise en œuvre du principe de complémentarité.
Cette année, l’AÉP sera donc une fois de plus l’occasion de discuter du renforcement des capacités nationales, notamment en ce qui concerne l’investigation et la poursuite des auteurs de crimes sexuels et fondés sur le genre, ainsi que les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour réaliser pleinement le principe de complémentarité dans ces domaines, et ce, malgré le faible soutien affiché par les États en faveur des poursuites nationales. Le Secrétariat de l’Assemblée des États Parties a, en ce sens, annoncé en octobre dernier la création d’une plateforme dont le but est de faciliter la mise en relation des États nécessitant une assistance technique avec des acteurs capables de leur fournir cette aide[1].
Le nombre d’évènements organisés cette année sur les mécanismes de poursuite et d’enquête des crimes de la compétence de la CPI mis en place au niveau national témoigne de l’importance du principe de complémentarité pour la société civile aujourd’hui et les États Parties. Ils seront autant d’occasions d’observer le rôle central que cette société civile occupe dans la réalisation de ce principe aujourd’hui, tout en laissant présager de riches discussions dans les jours à venir.
Marie participe à la 17e Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale au sein de la délégation du Partenariat canadien pour la justice internationale soutenue financièrement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada grâce à un financement de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de la Faculté de droit de l’Université Laval.
[1] Coalition for the International Criminal Court, Backgrounder Assembly of State Parties 17 The Hague, 5 – 12 December 2018, La Haye, Coalition for the International Criminal Court, 2018 à la p 23, en ligne : <http://www.coalitionfortheicc.org/sites/default/files/cicc_documents/CICC%20ASP17%20Backgrounder_30Nov2018_.pdf> (consulté le 6 décembre 2018).
Source : http://www.quidjustitiae.ca/blogue/17e-assemblee-des-etats-parties-la-complementarite