La 16e Assemblée des États parties (AÉP) à la Cour pénale internationale (CPI), à laquelle la délégation du Partenariat canadien pour la justice internationale a participé, est déjà terminée. Rétrospective sur deux semaines riches en événements.
L’AÉP a débuté ses travaux le 4 décembre par une séance plénière d’ouverture qui a été l’occasion de discuter des principaux enjeux de cette session, soit l’élection de six juges et des membres du Bureau, l’activation de la juridiction de la CPI à l’égard du crime d’agression, les situations de non-coopération, la relation de la Cour avec les États parties (en particulier avec les États africains) ainsi que les réparations accordées aux victimes de crimes tombant sous la juridiction de la CPI. Plus tard dans la journée, elle a élu au terme du premier tour de scrutin ses deux premières juges, Mme Tomoko Akane du Japon et Mme Luz del Carmen Ibáñez Carranza du Pérou. Les délégués du Partenariat ont ensuite assisté à un événement qui portait sur le professionnalisation des enquêtes en lien avec les crimes internationaux. Cette première journée s’est terminée par une réception organisée par Amnesty International en l’honneur du lancement de leur plateforme, « Human Rights in International Justice ».
Au deuxième jour de l’AÉP, trois autres femmes juges ont été élues : Reine Alapini-Gansou, du Bénin; Solomy Balungi Bossa, de l’Ouganda; et Kimberly Prost, du Canada. La délégation du Partenariat a pris part à plusieurs événements parallèles, dont l’un, portant sur la justice réparatrice, a mis en valeur que la pleine application du principe de complémentarité de la CPI ne peut être concrétisée sans le respect droits des victimes des crimes internationaux.
Les délégué.e.s du Partenariat ont amorcé la troisième journée de l’AÉP en espérant que l’AÉP pourrait clore l’élection des juges et amorcer la résolution des nombreux autres défis. Leur souhait s’est concrétisé par l’élection de Rosario Salvatore Aitala de l’Italie, sixième et dernier juge à être élu au terme du neuvième tour. Au final, le processus d’élection se sera avéré beaucoup plus court que lors des élections de 2014, au bénéfice des délégué.e.s du Partenariat. Ces derniers en ont profité pour rencontrer le co-chercheur Mark Kersten et discuter avec lui des enjeux actuels en lien avec la justice internationale. Par ailleurs, les événements parallèles auxquels les délégués ont pris part au cours de cette journée ont porté notamment sur le rôle des juridictions nationales dans la lutte contre l’impunité, l’importance de la dissuasion et du rôle de la CPI dans les violations actuelles des droits humains, les enjeux relatifs à la coopération de la Côte d’Ivoire avec la CPI, les problématiques liées aux crimes sexuels et sexospécifiques, et la qualification de l’écocide comme crime contre l’humanité.
Lors de la quatrième journée, les délégu.e.s du Partenariat ont écouté attentivement les discours des représentants des États Parties, qui sont intervenus en séance plénière pour exprimer publiquement leur position sur différents sujets, incluant le crime d’agression et le budget, et pour lancer des messages au monde et à leurs collègues. Les délégués ont également participé à des événements sur le deuxième anniversaire du African Group for Justice and Accountability (AGJA), sur un projet de traité multilatéral pour les crimes internationaux les plus sérieux, sur les particularités de la Nuremberg Principles Academy et sur la possibilité d’intervention de la CPI pour juger les meurtres extrajudiciaires liés à la drogue commis aux Philippines. De plus, dans le contexte des célébrations relatives au 15e anniversaire de l’établissement de la CPI en 2017 et au 20e anniversaire du Statut de Rome en 2018, Women’s Initiatives for Gender Justice (WIGJ) a lancé en soirée le Mur d’héritage de la justice basée sur le genre, sur lequel le nom de la co-chercheure Valerie Oosterveld apparaît à côté de femmes et d’hommes extraordinaires ayant œuvré pour cette cause (voir ici pour plus d’informations). Lors de cet événement, Mme Brigid Inder a reçu un prix spécial en reconnaissance de son travail chez WIGJ qu’elle quitte au terme de près de 15 ans d’implication.
Durant la cinquième et dernière journée de la première semaine de l’AÉP16, les États non membres du Statut et des membres de la société civile ont présenté leurs déclarations à l’AÉP. Puis, les délégué.e.s du Partenariat ont eu le grand plaisir de pouvoir discuter de façon informelle au sujet de la justice internationale avec le nouveau président de l’AÉP, le juge O-Gon Kwon. Ils ont également pris part au lancement de l’étude « La jurisprudence congolaise en matière de crimes de droit international » ainsi qu’au lancement du rapport du Bureau du Procureur sur les enquêtes préliminaires menées en 2017. La journée s’est terminée par un événement sur la situation du Burundi à la suite de l’ouverture d’une enquête de la CPI à son endroit, lequel a été suivi d’une discussion d’experts sur les immunités en droit international, modérée par Mark Kersten.
Après une fin de semaine occupée par la production de billets de blogue, rapports et publications de toutes sortes, les délégué.e.s ont repris le chemin des Nations Unies dès le lundi 11 décembre, pour le jour 6 de l’AÉP. Les discussions en séance plénière, auxquelles ils ont assisté, ont porté sur la coopération et sur les amendements projetés au Statut de Rome. De plus, la journée a été particulièrement riche en événements parallèles, le partenaire Avocats sans frontières Canada ayant organisé un événement sur les avancées dans la lutte contre l’impunité au Mali. La délégation a également eu l’occasion de se pencher sur le rôle de la CPI dans la responsabilisation pour les crimes graves perpétrés en Ukraine, les progrès effectués dans l’élaboration d’une convention internationale relative aux crimes contre l’humanité, ainsi que le rôle du Conseil de Sécurité et de l’AÉP dans l’amélioration de la coopération des États avec la CPI. Ensuite, en après-midi, les délégué.e.s ont pu effectuer une visite des quartiers généraux de l’ONU, qui fut à la fois instructive et divertissante. Cette journée bien remplie s’est terminée par une réception où un panel d’experts a discuté des relations entre la CPI et l’Afrique, et par la projection d’un film sur la formation des journalistes à la justice internationale.
Fannie Lafontaine s’est jointe à la délégation pour les jours 7 et 8 de l’AÉP, l’enrichissant de son expertise impressionnante et de son dynamisme contagieux. Le jour 7 de l’AÉP était un grand jour pour les délégué.e.s, qui avaient très hâte de rencontrer Mme Louise Arbour, représentante spéciale du Secrétaire général pour les migrations internationales. Après avoir discuté avec elle pendant près d’une heure, les délégués ont assisté aux débats de la séance plénière relativement aux projets de résolutions qui seraient potentiellement adoptés par l’Assemblée à la fin de la semaine. La procureure Fatou Bensouda a également présenté son rapport concernant la situation actuelle au Darfour. Plus tard dans la journée, Avocats sans frontières Canada organisait un second événement en autant de jours, portant cette fois sur les enjeux relatifs au processus de paix en Colombie. Les autres événements parallèles de la journée ont amené les délégué.e.s à réfléchir notamment sur les façons d’améliorer l’égalité des genres au sein du personnel de la CPI, l’utilisation des violences sexuelles et sexospécifiques comme méthodes de guerre, ainsi que sur la lutte contre l’impunité de ce type de violences en République centrafricaine, Colombie, RDC et en Irak. En fin de journée, la délégation a fait une autre rencontre des plus enrichissantes : celle de Catherine Boucher, conseillère juridique à la mission permanente du Canada auprès des Nations Unies. Si le contenu de cette discussion doit malheureusement demeurer confidentiel, les délégué.e.s ont grandement apprécié de faire connaissance avec cette femme immergée dans la pratique du droit international.
Le moment fort du 8e jour de l’AÉP a été l’événement parallèle organisé par la co-chercheure Valerie Oosterveld, qui portait sur les poursuites judiciaires de violences sexuelles et sexospécifiques devant le Tribunal spécial pour la Sierre Leone. Décrit par plusieurs comme le meilleur événement parallèle de la semaine, il rassemblait un panel d’experts modéré par la co-directrice Fannie Lafontaine. Après ce franc succès, les délégués ont pu rencontrer la juge canadienne Kimberly Prost, nouvellement élue à la CPI, pour lui poser des questions de toutes sortes sur sa carrière et, notamment, son opinion sur les enjeux auxquels la Cour fait face en ce moment. Au cours de cette journée, des délégués ont également eu l’occasion d’assister à des événements parallèles portant sur la création d’un Cour pénale inter-américaine qui jugerait des crimes transnationaux en lien avec le crime organisé, et célébrant le vingtième anniversaire de la Convention d’Ottawa sur la prohibition des mines antipersonnel.
Dire que le 9e et dernier jour de l’AÉP était attendu de tous serait un euphémisme. En effet, les yeux du monde entier étaient rivés sur l’AÉP16, dans l’expectative d’une décision historique : l’activation de la compétence de la Cour relativement au crime d’agression. Après avoir adopté es résolutions et des recommandations par rapport à l’élection du Greffier, l’Assemblée a longuement négocié à huis clos concernant l’activation de la compétence de la Cour. Ces négociations devaient normalement durer jusqu’à 18h, mais, aucun consensus n’étant atteint, elles sont sont prolongées bien au-delà. Il était impossible de savoir quand elles se termineraient, et les délégués savaient que s’ils quittaient les locaux des Nations Unies, ils ne pourraient y entrer à nouveau avant le lendemain en raison des restrictions à l’accès du bâtiment. Par ailleurs, la nourriture disponible sur place était très limitée, et tous étaient affamés. La délégation a cependant décidé de rester sur place, bien décidée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour assister à cet événement historique. Ce n’est qu’à 21h30 que les ONG ont eu à nouveau accès à la salle de conférence plénière pour assister à ce qui se passait. L’atmosphère y était survoltée. Une dernière version de résolution non ouverte aux négociations a été mise en circulation. Plusieurs minutes plus tard, cependant, une erreur a été signalée dans la formulation du troisième article de celle-ci. L’erreur a éventuellement été corrigée, et une nouvelle version a été communiquée. Après une longue pause permettant des discussions entre eux, un grand nombre d’États ont alors fait des déclarations. C’est à ce moment, que les délégués du Partenariat a remarqué, non sans une certaine fierté, qu’ils étaient les seuls représentants non-étatiques restants à assister à l’Assemblée. Il était alors environ 21h30. Leur patience a finalement été récompensée : peu avant 22h, la résolution a finalement été adoptée sans modification et, chose importante, par consensus! Les déclarations subséquentes des États sont toutefois venues tempérer l’allégresse ambiante, alors qu’ils exprimaient leur opinion de n’être pas liés par la compétence de la Cour. La plénière s’est finalement prolongée dans la nuit jusqu’à 2h30, sous l’œil attentif des délégués du Partenariat, qui étaient toujours présents.
La délégation est unanime à l’effet qu’elle conservera un souvenir absolument impérissable de sa participation à la 16e AÉP de la CPI. Il s’agit d’un événement des plus formateurs tant sur le plan professionnel que personnel, et tant les compétences acquises que les rencontres effectuées resteront bien gravées dans les mémoires. La délégation tient à souligner le travail exceptionnel d’Erick Sullivan, qui a coordonné ses activités à la fois avant, pendant après l’AÉP, en plus de réviser la totalité des publications et nouvelles émanant de chaque délégué et de veiller à ce que la participation de chacun à l’AÉP16 soit une expérience des plus positives et inoubliables.
Catherine Savard
© Photos par Maxime Mariage