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Rohingya: ce que le Canada peut faire dès maintenant

By 18 septembre 2018septembre 30th, 2018Nouvelles, PCJI dans les médias

Par Amanda Ghahremani, Mark Kersten et Fannie Lafontaine | Huffington Post

Le Canada doit contribuer au rétablissement de la dignité du peuple Rohingya en ayant recours à la justice et en s’assurant que les crimes commis ne demeurent pas impunis.

Malgré la déportation de centaines de milliers de civils et des allégations de génocide et de nettoyage ethnique, le peuple Rohingya s’est jusqu’à maintenant vu refuser l’accès à la justice. Un processus de réflexion créatif et novateur initié par la Cour pénale internationale (CPI) pourrait changer la donne. Le Canada dispose d’une opportunité unique de jouer dans la cour des grands et de s’engager de façon indélébile et durable en faveur de la justice pour un peuple qui le mérite désespérément.

Un pas vers une justice?

Le 6 septembre, des juges de la CPI ont décidé que la Cour avait compétence pour enquêter sur le crime de déportation possiblement commis par l’armée du Myanmar envers les Rohingyas, ces derniers ayant été forcés de fuir le pays vers le Bangladesh voisin. Ce jugement survient à la suite du nombre important d’interventions d’experts à la Cour en faveur d’un tel résultat, incluant le Partenariat canadien pour la justice internationale dont nous sommes membres.

Cette décision n’était pas sans controverse. La procureure en chef de la CPI a tout de même réussi à faire valoir que, parce que le crime de déportation est initié sur le territoire d’un État ne faisant pas partie de la CPI (Myanmar), mais complété dans le territoire d’un État membre (Bangladesh), la Cour avait compétence pour enquêter. Avec un Conseil de sécurité des Nations Unies hésitant et l’absence d’un tribunal régional pouvant faire justice, la décision de la CPI se présente comme étant la meilleure opportunité pour obtenir un certain niveau de justice pour le peuple Rohingya.

La décision de la CPI survient une semaine après la publication d’un cinglant rapport de l’ONU détaillant les mesures prises par l’armée du Myanmar pour opérer un nettoyage ethnique du pays et se débarrasser des Rohingyas et autres minorités. Le rapport de l’ONU recommandait spécifiquement que les hauts gradés de l’armée du Myanmar fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites pour crimes internationaux. Avec le jugement de la CPI, cette recommandation deviendra peut-être réalité.

Le rapport de l’ONU, qui fait état des violentes mesures employées par l’armée du Myanmar – notamment des exécutions extrajudiciaires, des viols et de la torture qui constituent des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre – a été reçu, à juste titre, avec indignation au Canada.

D’éminents avocats et défenseurs des droits de la personne ont publiquement demandé au gouvernement de révoquer la citoyenneté honorifique de la présidente birmane Aung San Suu Kyi après qu’elle eut été critiquée pour ne pas avoir utilisé son «autorité morale», afin de prévenir l’escalade de la violence au Myanmar.

Ce que le Canada peut faire

Le Canada a un rôle à jouer qui dépasse les mesures symboliques. En tant que membres d’un réseau d’universitaires et d’avocats canadiens travaillant sur la justice internationale – le Partenariat canadien pour la justice internationale – et de concert avec d’autres organisations partenaires, nous croyons que le Canada doit jouer un rôle de leader et nous exhortons le gouvernement à user d’initiatives au sein de la communauté internationale, visant à juger les responsables du génocide qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux.

Le Canada a déjà annoncé son intérêt pour un processus de paix visant à endiguer la violence. Le premier ministre Trudeau a nommé un envoyé spécial auprès du Myanmar, Bob Rae, et a annoncé plus tôt cette année que le Canada était déterminé à répondre à la crise des Rohingyas via de l’aide humanitaire et des mesures visant à traduire en justice les auteurs des violations flagrantes des droits de la personne.

Conséquemment, le Canada a sanctionné un haut gradé de l’armée du Myanmar en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. Avec la publication dans le rapport de l’ONU de plusieurs nouveaux noms de hauts gradés responsables de crimes internationaux, le Canada devrait faire en sorte que ces individus soient ajoutés à sa liste des sanctions.

Mais concernant l’imputabilité pour les crimes, le Canada peut faire plus. Maintenant que la CPI juge qu’elle a compétence quant au crime de déportation et autres crimes connexes, le Canada devrait réfléchir au rôle qu’il peut jouer dans le but de faciliter la coopération et l’assistance juridique envers une CPI surmenée et en manque de ressources.

Il pourrait travailler avec d’autres États membres de la CPI dans la région pour référer le Myanmar à la Cour, comme cela a été fait dans le cas du Venezuela. Il pourrait aussi fournir à la CPI des fonds additionnels, comme il l’a fait suite à l’ouverture d’une enquête portant sur les atrocités au Darfour.

Après les attaques fallacieuses du conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Bolton, contre la CPI cette semaine, il est impératif que le Canada démontre plus que jamais son appui indéfectible à cette institution par des actions concrètes.

Le temps presse

La compétence de la CPI quant au crime de déportation ne couvre actuellement qu’un des nombreux crimes internationaux décrits par la mission d’établissement des faits de l’ONU, bien qu’elle pourrait être étendue pour inclure la persécution du peuple Rohingya. Pour qu’il y ait véritablement justice, les hauts gradés de l’armée du Myanmar doivent être tenus responsables de tous les crimes qu’ils auraient commis, incluant le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité. Les victimes aussi ont besoin d’une voie de guérison collective et individuelle.

Ainsi, le Canada devrait aider à établir un mécanisme indépendant d’enquête mandaté par l’Assemblée générale de l’ONU qui aurait pour but d’amasser et de préserver la preuve et de la préparer, pour qu’elle puisse être utilisée en temps opportun dans une cour de justice. Ottawa l’a déjà fait auparavant, avec le Mécanisme international, impartial et indépendant pour les atrocités commises en Syrie.

De plus, le gouvernement devrait sérieusement considérer soutenir une commission de vérité pour que les survivants Rohingyas se trouvant au Bangladesh puissent bénéficier d’une plateforme leur offrant la chance de partager leurs témoignages et pour qu’ils puissent faire entendre leur voix.

Le gouvernement canadien doit faire plus pour aligner sa politique étrangère avec les prérogatives des droits de la personne et la justice internationale. Dans cet ordre d’idées, nous avons appelé à la création d’un poste d’Ambassadeur canadien pour la justice internationale.

Le premier ministre Trudeau se plait à parler de «valeurs partagées». Qu’est-ce qui est plus important, voire essentiel, à partager que la valeur et l’engagement envers la dignité fondamentale? Le Canada peut – et doit – contribuer au rétablissement de la dignité du peuple Rohingya en ayant recours à la justice et en s’assurant que les crimes commis contre celui-ci ne demeurent pas impunis.

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Ce texte a été coécrit par Amanda Ghahremani, Directrice juridique du Centre canadien pour la justice internationaleMark Kersten, Fellow à la Munk School of Global Affairs et directeur-adjoint de la Wayamo Foundation, et Fannie Lafontaine, professeure de droit à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux. Les trois auteurs sont respectivement collaborateur, cochercheure et co-directrice du Partenariat canadien sur la justice internationale. Cette opinion est appuyée par le Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies et Avocats sans frontières Canada.

Source : https://quebec.huffingtonpost.ca/amanda-ghahremani/rohingya-genocide-canada-actions-cour-penale-internationale-justice_a_23530202/?abc

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